Jules Amédée Barbey d'Aurevilly on Joseph de Maistre

The following is an essay by the ultramontane Catholic critic and novelist J. A. Barbey d'Aurevilly (1808-1889) on Joseph de Maistre from Barbey's book Les prophètes du passé (1851). After the French text comes my translation.

Click here for my 1982 essay on Barbey and Maistre. A new essay is in preparation.

How should we read Joseph de Maistre, if liberal historians of political thought provide us no guidance? Barbey shows how a mid-nineteenth-century rightist read him.

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Jules Amédée Barbey d'Aurevilly

Jules Amédée Barbey d'Aurevilly
Jules Amédée Barbey d'Aurevilly* * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * The Anointing of King Charles X in 1825 at Rheims

Tuesday, July 27, 2010

Joseph de Maistre, le prophète du passé.

Si j'avais à caractériser d'un seul trait le génie de Joseph de Maistre, je l'appellerais, avant tout, le Génie de l'Aperçu. Quand on lit ses œuvres, c'est d'abord cela qui frappe; et, quand on ferme le livre, c'est de cela que longtemps après, on reste frappé. Bonald, Lamennais, par exemple, révèlent des qualités différentes par l'emploi de procédés différents. Ils posent des principes, et il les enchaînent; ils élèvent des édifices, ce sont des architectes de vérités. Mais de Maistre, pourrait-on me dire quel fut son système, et, dans le sens humain du mot, quelle fut sa philosophie? Dans le sens divin, dans le sens des principes doninateurs de toutes les philosophies, il en a une, je le sais, et il n'est pas difficile de la dégager de l'ensemble de ses écrits ; mais jamais il n'a tenté d'en dresser les assises à l'aide de toutes les organisations de la science et du raisonnement. Possédant à un degré éminent cette faculté de croyance qui est le premier attribut des grands penseurs, — ou, pour dire mieux en disant davantage, des grands hommes, — il vit trop dans la lumière de sa foi; il en respire trop les a priori sublimes, pour contester par hypothèse et examiner philosophiquement cette grande et unique vérité de tradition qui est devenue la vérité catholique; et c'est avec ce fait indiscuté, indiscutable, irréfragable et générateur de tous les autres, qu'il aborde l'étude des diverses questions sur lesquelles il a montré toutes les flexibilités de la force.

Monté à cette hauteur, ou plutôt placé naturellement à cette hauteur, sans y être monté, par le fait de ses facultés supérieures; il voyait bien, il apercevait. Mais pourquoi voyait-il? pourquoi avait-il cette force de projection visuelle, qui est de l'aperçu dans l'ordre de l'intelligence et qui semble le cachet de son génie? C'est qu'il regardait d'une bonne place. L'aigle que le vent a roulé dans un gouffre n'a plus besoin de son regard de feu; il ne lui sert que quand il plane. La sagacité de Joseph de Maistre tient plus à son point de vue qu'à sa vue même. Or, son point de vue, c'est la révélation historique, la tradition. Je me rappelle une phrase qu'il a écrite et qui est une clarté sur sa pensée. Il parle du christianisme, ce point de départ d'où il s'est [é]lancé sur toute idée. «Depuis dix-huit siècles,—dit-il,—il règne sur la partie la plus éclairée du globe, et cette religion ne s'arrête pas même à cette époque antique. Arrivée à son fondateur, elle se noue à un autre ordre de choses, à une religion typique qui l'a précédée. L'une ne peut être vraie sans que l'autre le soit; l'une se vante de promettre ce que l'autre se vante de tenir: en sorte que celle-ci, par un enchaînement qui est un fait visible, remonte à l'origine du monde. ELLE NAQUIT LE JOUR OU NAQUIRENT LES JOURS.» On le voit, pour ce génie d'État, en matière de philosophie, l'esprit humain commence par un fait en dehors de lui-même, de ses propres jugements et de ses propres puissances. De règles de fausse position a élevcr contre Dieu, même pour la [plus] grande gloire de sa démonstration, de Maistre a toujours dédaigné d'en poser. Il est d'un trop mâle esprit pour jouer à ces petites mathématiques innocentes. Il n'essaye pas de prouver par le raisonnement la légitimité de la vérité enseignée; il l'affirme, sachant qu'à une certaine profondeur, rien ne prévaut contre l'histoire, et que la philosophie, réduite à ses seules forces psychologiques et ontologiques, est incapable de faire autre chose de ces vérités premières, qu'une vague probabilité. [note 1]

Ainsi, rien de plus vrai, on un sens, que ce mot d'Homme du Passé appliqué à Joseph de Maistre. Il est du passé, en ce sens que la notion de Dieu, cette notion première, n'est donnée, pour lui, dans sa plénitude vivifiante que par l'histoire, et que, donnée une fois, le temps ne peut plus changer, par ses évolutions et révolutions, la loi qui en sort et qui gouverne le monde. En partant de cette base, la seule qui ne tremble pas sous le pied, de Maistre a un critérium certain, absolu (tout critérium qui manque de ces deux qualités n'étant qu'une toise d'à peu près, un bâton d'aveugle pour sonder les fondrières du chemin), et il peut dire, comme il le dit, sans que le prophète soit beaucoup plus qu'un logicien: Tel fait contrarie la vérité enseignée, c'est un désordre. Il doit donc passer, et sur la trace de son passage, qu'il laisse beaucoup de ruines ou seulement un peu de fumée, les faits normaux, un instant contrariés ou suspendus, doivent se rétablir dans la tranquille majesté de leur force éternelle. C'est cette règle, ce critérium que de Maistre a appliqué avec là justesse du regard et la sûreté de la main à tous les faits soit historiques, soit philosophiques de son temps. Comme il est de l'essence de la philosophie, cette chercheuse d'esprit el de disputes, de discuter jusqu'à la légitimité même de la discussion, je laisserai là les faits théoriques, métaphysiques, [qui sont de l'ordre de la pensée pure,] et sur lesquels on peut chicaner jusqu'à l'heure où ils tombent dans les réalités de l'histoire et s'y incarnent, et je prendrai les faits historiques, devant lesquels, patents et palpables comme les faits physiques, la Philosophie n'a plus qu'à baisser ses yeux de taupe et son orgueil encore plus aveugle que ses yeux.

De tous les livres de Joseph de Maistre, le plus marqué, le plus brillant du rayon prophétique qu'on voudrait éteindre aujourd'hui sous le souffle d'un mot menteur, c'est le livre de ses Considérations sur la France. Écrit en 1797 et publié au moment où la France s'échappait, aveuglée de sang et hébétée de coups, de l'abattoir révolutionnaire, ce livre produisit dans la partie de ce pays qui vivait encore par la pensée, et surtout dans la haute société de l'Europe, une impression vive et profonde. Mais ce fut plus tard qu'on en reconnut la portée; car on la mesura, cette portée, avec une mesure infaillible, celle des événements accomplis. Il se trouva qu'à dix-sept ans de distance, de Maistre les avait aperçus. Lui seul, alors comme depuis, fut plus fort que l'espérance qui commençait à renaître de tant de désespoir, et jugea avec cette froideur de l'esprit, à qui, selon Machiavel, le monde appartient, mais à qui les choses de la pensée appartiennent bien davantage, ces organisations impuissantes d'une société lasse d'anarchie, qui cherchait à s'organiser. Écoutons ce qu'il dit, dès 1797, de la constitution de 1795: «Y a-t-il une seule contrée de l'univers où l'on ne [1889, omet. ne] puisse trouver un conseil des Cinq-Cents, un conseil des Anciens et cinq Directeurs? Cette constitution peut être présentée à toutes les associations humaines, depuis la Chine jusqu'à Genève. Mais une constitution faite pour toutes les nations n'est bonne pour aucune. C'est une pure abstraction, une œuvre scolastique faite pour exercer l'esprit dans une hypothèse idéale... Toutes les raisons imaginables se réunissent donc pour établir que le sceau divin n'est pas sur cet ouvrage, qui n'est qu'un thème, et qui est déjà marqué de tous les caractères de la destruction.» Ce jugement, tombé de si haut, les faits, à quelque temps de là, le ramassèrent et le changèrent en vérité. De Maistre avait vu clair, mais tout près de lui. Attendez : trois pages plus bas, il va voir loin et non moins clair. Déjà préoccupé de l'éven-tualité d'une restauration, qui recula de toute l'épaisseur éblouissante du règne de Napoléon, le comte Joseph de Maistre, qui la provoquait comme toutes les intelligences d'ordre en Europe, écrivait ces mots, qui furent des oracles sans en avoir l'obscurité: «Toutes les factions réunies de la révolution française ont voulu l'avilissement, la destruction même du christianisme universel et de la monarchie: d'où il suit que tous leurs efforts n'aboutiront qu'à l'exaltation du christianisme et de la monarchie.» Certes ! [1889 om. !] c'était assez net; et cependant, au point de vue de l'ordre, entendu dans ce qu'il a de plus apparent, la Révolution était terminée. Elle se refaisait des institutions. Mais, pour de Maistrc, l'ordre factice qui imposait à tant d'esprits n'était pas l'ordre vrai. Aussi disait-il, à quelques lignes de celles que je viens de citer: «Tout annonce que l'ordre de choses établi en France ne peut pas durer, et que L'INVINCIBLE NATURE DOIT RAMENER LA MONARCHIE.»

Peu de temps après, en effet, l'invincible nature la ramenait de concert avec un autre Invincible; et, chose digne de cette intelligence qui voyait par-dessus les événements les plus hauts, les plus inattendus, les plus escarpés aux yeux vulgaires, ce ne furent pas même les prodiges de cet autre Invincible qui empêchèrent la Restauration prévue de se produire dans les termes que l'illustre publiciste avait fixés et décrits par avance jusque dans leurs moindres détails. Tout ce qui sait lire n'a pu oublier l'admirable chapitre IX, cette suite d'éclairs, des Considérations sur la France, intitulé: Comment finit une contre-révolution [«Comment se fait une contre-révolution»]. Les grandeurs et les folies de l'homme qui avait, en ressuscitant la monar-chie, comme écrit avec son épée sous la dictée du prophète politique qui l'avait proclamée nécessaire et inévitable, ne modifièrent qu'à peine l'histoire qu'il avait tracée de si loin de la Restauration future. On le comprend. Qu'y avait ajouté cet homme qui représentait encore la Révolution, quoiqu'il se fût tourné contre elle? Ses propres fautes et ses malheurs. La prédiction de Joseph de Maistre n'en était point affaiblie. Au contraire, elle n'en brilla que mieux, et les paroles qui l'exprimaient restèrent entières sans qu'aucun événement en effaçât seulement une lettre. Vraies avant Bonaparte, plus vraies encore depuis Bonaparte, elles semblent un arrêt de la Providence, qui étonne, quand on se reporte à sa date, les esprits les plus rompus aux prévisions politiques: «C'est donc bien en vain, disaient ces paroles, que tant d'écrivains insistent sur les inconvénients du rétablissement de la monarchie; c'est en vain qu'ils effrayent les Français sur les suites de la contre-révolution; et lorsqu'ils concluent de ces inconvénients que les Français, qui les redoutent, ne souffriront jamais le rétablissement de la monarchie, ils concluent très-mal; car les Français ne délibéreront point, et c'est peut-être de la main d'une femmelette qu'ils recevront un roi.» La dédaigneuse expression n'était pas une injure, et l'intuition allait ici jusqu'a la nuance. Les Français ne délibérèrent point. Ils crièrent pour qu'on les délivrât, et leurs libérateurs délibérèrent. Rien donc n'a manqué à cette divination prodigieuse, pas même la femmelette; car Mme de Krüdner, qui jouait le mysticisme, et n'avait pas le cœur et la tête assez grands pour le contenir, Mme de Krüdner, qui mit les petitesses de son âme dans les décisions d'Alexandre, ne serait-elle pas cette femmelette-là?...

Du reste, une vue si droite et si perçante qui aidait à sa force et la décuplait en mettant le pur milieu des principes entre elle et les événements lointains, comme la science place de merveilleux cristaux entre elle et les objets qui échappent à la faiblesse des organes humains, pour mieux les voir; cette vue éclairée, affermie, élevée à sa plus haute puissance par l'habitude de la contemplation supérieure, ne se troubla jamais, même devant ce qui trouble tant le regard des hommes, le succès. Bien au-dessus des partis et de leurs passagères fortunes, Joseph de Maistre, qu'on a cru, aux ardeurs de sa parole, en partager les passions, n'épousa aucune des illusions de la victoire, quand la Restauration y'accomplit. Il vit qu'au lieu de rompre avec une révolution qui avait été elle-même une rupture avec la vérité et avec l'histoire, elle se nouait à cette révolution par une constitution philosophique, et il prévit ce qu'il arriverait de cette dernière, comme il était arrivé déjà à celles qui l'avaient précédée. Il ne biaisa pas sur la faute de Louis XVIII, et sur le sort de cette monarchie un instant relevée pour retomber. Deux ans après le retour de la maison de Bourbon, une inspiration, née déjà de beaucoup d'embarras, lui fit offrir le ministère, mais il refusa en disant qu'il était trop tard. Il sentait que la conception de l'ordre vrai pour la France sacrifiée à une égoïste et fausse politique, ne pouvait plus se réaliser, du moins par le simple fiat d'un homme. Quelques années plus tard, en 1821, il mourait, et, le regard toujours aussi lucide, aussi ferme: «Je meurs avec l'Europe,» disait-il. Mot cruel et lugubre; mais franchement, depuis 1821, quel événement a montré que ce mot-là ne fût pas juste?

Ainsi, — comme on le voit maintenant et par ses écrits et par sa vie,— ce Prophète du Passé, ainsi que diraient les insolents Nostradamus de notre âge, a toujours prévenu et annonce l'avenir voilé qui allait suivre. Il avait, et dans ses Considérations sur la France et dans son Principe générateur, proclamé le néant des constitutions faites de main d'homme, et, coup sur coup, les faits successifs de l'histoire contemporaine lui donnèrent raison en brisant, les unes après les autres, ces constitutions! Que dis-je? l'avenir qu'il avait vu ne s'est point circonscrit dans une période de l'histoire. La sentence de mort qu'il a portée contre les constitutions, le Temps, cette Table de Marbre qui rejuge les jugements humains, ne l'a point cassée. Il a frappé également l'œuvre de 1795, de 1815, de 1830, comme il frappera toutes les œuvres pareilles de fabrique humaine, estampillées du même nom. Plus tard, quand je parlerai de Chateaubriand, dont l'œil fut trop souvent ébloui par les illusions am¬biantes de son époque, je montrerai que l'impossibilité de vivre, — le petit empêchement d'être, eût dit Fontenelle, — de ces œuvres futiles ne venait pas seulement du principe même sur lequel elles portent, mais aussi du système de gouvernement que ces constitutions créaient. Seulement pour de Maistre, ce penseur original, qui expliquait tout par l'origine, le péché originel suffisait. Quand une institution est vaine dans son principe, ce n'est plus qu'une ruine suspendue sur ceux qu'elle couvre de son apparente solidité. Les myopes seuls ont cru, par exemple, le roi Charles X chassé du trône par de vieilles rancunes contre sa noble race; mais pour ceux qui élèvent leur regard vers des causes plus réelles, il a été surtout chassé par les principes mêmes consentis dans cette Charte, qui sera jugée par nos fils, s'ils ne sont pas aussi faibles que leurs pères, une vile concession à l'ennemi. Louis-Philippe n'avait point, lui, les souvenirs de sa race à craindre. Fils de régicide, grandi sur les genoux des clubs, libéral de ce faux libéralisme, de cette tartufferie de liberté dont la spirituelle France a été si longtemps la madame Pernelle et l'est encore ; Louis-Philippe, ce roi de la Halle, a été chassé à son tour par les gamins, fils de ces gamins qui lui avaient donné la couronne. Mais, comme Charles X, c'était encore, au fond, la constitution qui le chassait, ou du moins l'esprit qui couvait dans son sein. La monarchie de 1830 a péri comme la monarchie de 1815, parce que ni l'une ni l'autre n'était, en fin de compte, la monarchie. Toutes les deux sont mortes de leurs constitutions. De Maistre avait pressenti ces ruines comme il en a pressenti bien d'autres que la France n'a pas vues, mais qu'elle verra... Et ne peut-on dire qu'elle a commencé de les voir?... Avouons que ce n'est pas trop mal pour un homme toujours les yeux attachés au passé, comme le lui reprochent ses adversaires. Enfin il a mérité cette gloire qu'à plus de quarante ans de distance, un ministre d'une expérience presque séculaire, aussi grand par la pratique et par l'action que lui, de Maistre, l'était par la théorie et par la pensée, conclut, après les événements, comme l'illustre écrivain avait prévu, avant qu'ils eussent éclaté. Les paroles rapportées dernièrement du prince de Metternich, à Londres [note 2], sont un corollaire expérimental à l'a priori de l'auteur des Considerations sur la France. Lorsque les Bohémiens politiques de notre époque, éclos tout à coup au gouvernement des États, comme des champignons sur du fumier, dans la nuit du 24 février 1848 ; lorsque tous ces poétiques diseurs de bonne aventure à la France auront pour garantie de leurs prédictions un ensemble de faits comme celui que je n'ai pu qu'indiquer dans ce chapitre, et l'adhésion à leurs prophéties d'un homme qui a depuis quarante ans la main, — et une assez puissante main, — dans les affaires de ce monde, alors... oh! alors... je ne les croirai pas davantage, mais je me regarderai au moins comme tenu de déduire les raisons de mon incrédulité.

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[Note 1] Pour ne citer qu'un seul exemple de cette fîère méthode abrégée de Joseph de Maistre, qu'on se rappelle les premières pages de son plus grand livre, Le Pape. Il y pose souverainement l'infaillibilité théologique, et il en déduit aussitôt l'infaillibilité politique par l'expérience et par l'histoire, laissant pour toute ressource à ceux qui sont piqués de la tarentule de la discussion de s'ouvrir la tête sur les faits, si bon leur semble. Et puisque j'ai cité le livre du Pape, qu'il me soit permis d'ajouter en passant qu'il est à lui seul, sous sa forme historique, toute une Prophétie que le temps se chargera de justifier, et plus prochainement qu'on ne croit. Les peuples chrétiens, qui ne le sont actuellement que de nom et de baptême, doivent revenir, dans un temps donné, à cette théorie du Pape, qui est la théorie de l'unité dans le pouvoir et qui a fait pousser à l'Erreur le cri qu'on pousse quand on est frappé. Lorsque nous serons las, et cette fatigue commence déjà, des pouvoirs fictifs, conventionnels, et remis en question tous les matins, nous reviendrons au pouvoir vrai, religieux, absolu, divin; à la Théocratie exécrée, mais nécessaire et bienfaisante, ou nous sommes donc destinés à rouler, pour y périr, dans les bestialités d'un matérialisme effréné. La notion du droit devrait donc s'éteindre dans l'esprit de l'homme; car qui dit droit, dit droit absolu, et il n'y en a pas en dehors du catholicisme. Il n'y a que des convenances: or les grandes convenances font fléchir les petites,—comme certaines existences qui, tuant pour être, dévorent des existences inférieures. Le droit public ne serait plus alors qu'une question d'Anthropologie. Les droits des peuples, vis-à-vis les uns des autres, seraient leurs facultés, l'on sait de quoi cette notion de facultés se compose! Ainsi, la bout de toutes les philosophies, le système du Pape de Joseph de Maistre et de toute l'Église, ou le Léviathan de Hobbes! Ou le droit absolu avec son Interprète infaillible qui juge, condamne et absout, ou des luttes sans fin, sans dernier mot, sans apaisement; le vivier de sang de la force (car l'intelligence n'est qu'une force) et le pauvre Esprit humain, secoue par ses passions comme un arbre ébranché et fendu, [et la force] pour toute mesure du droit et du devoir des hommes! Voilà l'alternative. On verra comme le monde s'en tirera, mais il faudra choisir.

[Note 2] Voici les propres paroles du prince de Metternich: "Le Progrès politique,"—dit-il, — "suit un cercle. Plus il marche, plus il se rapproche de son point de départ." C'est toute la théorie catholique qui ne conçoit pas l'homme autrement qu'il n'est;—qui ne rève jamais, mais qui observe toujours. Un grand esprit qui, comme le prince de Metternich, lutte avec les faits depuis quarante ans, et conclut, au nom des faits, comme les plus redoutables utopistes, au nom des idées, montre bien que l'utopie n'est plus qu'une avance de la Vérité. L'Infaillibilité est pour M. de Metternich aussi nécessaire que pour Joseph de Maistre. Et ce n'est pas la seule analogie qui existe entre le grand Penseur debout et le grand Penseur assis. Tous deux, ils ont la même théorie providentielle. Tous deux croient que la Révolution de 1789 n'a été que le châtiment des Classes Élevées et que la Bourgeoisie et le Peuple [le Peuple et la Bourgeoisie] doivent avoir aussi leur 1789. Après le coup de guillotine sur la tête du trop révolutionnaire Louis XVI, il doit y avoir le massacre et la faim pour les peuples révolutionnaires. L'Expiation, l'Expiation pour tous, en bas comme en haut. Les peuples y perdront l'esprit de révolte; les Aristocrates et les Rois, l'esprit de faiblesse et d'illusion, plus dangereux et plus honteux encore.—Telle est l'opinion d'un homme dont le long ministère fut un règne, et qui, sur la fin de sa vie toute-puissante, a trouvé la révolution armée contre lui, parce qu'il avait mis tout son patient et calme génie à l'endomir plutôt qu'à la tuer.

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